Chère lectrice, cher lecteur,

Vous rappelez-vous de cette ancienne danseuse espagnole, atteinte de la maladie d’Alzheimer, qui s’émeut aux larmes lorsqu’elle entend les premières notes du Lac des Cygnes de Tchaïkovski ?

 

 

La musique semble littéralement la ranimer. Elle se remémore intégralement la chorégraphie précise qu’elle accomplissait quand elle était danseuse. TOUT LUI REVIENT !

Elle qui à 102 ans est clouée dans son fauteuil impotente et grabataire, redevient un cygne qui virevolte sur un lac, majestueuse et gracieuse.

L’espace d’un instant…elle REVIT !

Cette vidéo est émotionnellement très forte, et la fulgurance de sa mémoire, une fois retrouvée, a de quoi étonner…

D’autant que des histoires de cet ordre, il en existe beaucoup d’autres…

…Qui ouvrent une piste fascinante dans le traitement de la maladie d’Alzheimer.

 

Ce n’est PAS un miracle !

J’ai ainsi découvert le témoignage d’une jeune femme racontant avoir discuté au téléphone avec sa mère, atteinte de la maladie d’Alzheimer.

Comme souvent en pareil cas, la conversation est laborieuse. Car le gros problème dans la maladie d’Alzheimer est que la mémoire à court terme s’étiole…

Mais c’est bientôt l’anniversaire de la malade, alors sa fille fait tout pour maintenir le fil de la discussion.

Et lorsqu’elle lui demande ce qu’elle voudrait, sa mère répond : « un rang de perles ».

Et à l’évocation de ce seul objet, les perles, voilà la malade qui se met à faire une description d’une précision remarquable : longueur, matière, détails…

Le jour J, plus étonnant encore.

Car si la fille a bien acheté le cadeau, elle s’attend à ce que sa mère ait oublié.

C’est tout le contraire !

Elle décrit la sensation des perles sur sa peau, le poids du collier et… récite en chantant un poème de Shakespeare où il est question…de perles !

S’ensuit entre les deux femmes une conversation sur l’art, la poésie, « La jeune fille au collier de perles » de Vermeer…

Est-ce là un « miracle » ?

Oui…car tout espoir semblait perdu.

…Et non…car si on observe notre cerveau, les zones dédiées à la mémoire et à nos émotions sont intrinsèquement liées…à nos sens !

 

Des liens privilégiés ravivés par le nez !

L’exemple le plus frappant est celui du nez.

Les neurones qui transportent les messages olfactifs partent de la cavité nasale pour rejoindre le cerveau limbique… sans passer par le cerveau cognitif !

Ce qui signifie que les informations relatives à l’odorat parviennent au centre de nos émotions et de notre mémoire à long terme, avant même d’être envoyées à la conscience.

La science a également découvert que les odeurs familières stimulent des zones cérébrales spécifiques, dont l’hippocampe (associée à l’apprentissage), et réveillent des souvenirs anciens qui peuvent remonter jusqu’à l’enfance.

Dans une parution de la revue Neuron, les chercheurs ont montré que les odeurs, en particulier les odeurs agréables, stimulent la mémoire :

Ils ont montré à un groupe d’adultes une série d’images, chacune présentée avec une odeur.

Puis, on leur a montré une série d’images, cette fois-ci sans odeurs, et on leur a demandé d’indiquer celles qu’ils avaient vues auparavant.

« Les participants avaient de bien meilleurs souvenirs pour toutes les images couplées d’odeurs. »

Ces résultats étaient encore meilleurs lorsque les images étaient associées aux odeurs agréables.

« Les scientifiques ont constaté que la principale région du cerveau qui traite les odeurs (le cortex piriforme) devient active lorsque les gens voyaient des objets qu’ils avaient vus initialement avec des odeurs, alors que les odeurs n’étaient plus présentes et que les sujets n’avaient pas essayé de se souvenir d’eux. »

Voilà pourquoi il est si important de sortir du monde aseptisé et remettre du sensuel au cœur de la vie, pour travailler des souvenirs qu’on pensait perdus !

Planter une salade, tricoter…qui connait ces remèdes contre l’oubli ?

C’est aussi ce qu’a constaté le personnel soignant de l’hôpital psychiatrique de Montesson, dans les Yvelines où jardinage, accès à la nature et « balade botanique » peuvent être prescrits, en plus des soins dits classiques.

Avec des effets intéressants, notamment sur la réduction médicamenteuse mais aussi sur les réminiscences :

« Nous avions une patiente mutique, raconte une éducatrice, Un jour, alors que nous plantions des salades dans le patio, elle nous a dit qu’il fallait « les cercler ». Elle avait appris cela avec sa grand-mère. C’était nos premiers échanges ».

Planter une salade…

 Un geste aussi banal est donc capable de délier les lèvres d’une patiente mutique…

Tout aussi spectaculaire, une étude publiée en 2011 dans The Journal of Neuropsychiatry and Clinical Neurosciences1, s’est intéressée à 1 321 patients (1 124 sains et 197 atteints de déficience cognitive légère) pour mesurer l’impact d’une activité comme…le tricot… sur la santé de leurs fonctions cognitives !

Résultat : ce type d’activité est associé à une réduction de 30 à 50% des risques de souffrir de déficience cognitive légère et les pertes de mémoires !!

Là-encore, ce sont les dimensions sensorielles qui me semblent être la clé : la concentration, la vue, le toucher, la reconnaissance des textures, etc.

Et bien sûr le sentiment d’accomplissement et d’abandon dans l’action, qui fait dire à 81% des participants qu’ils se sentent « plus heureux » après une session de tricot2

On retrouve la notion de « flow » ou « d’expérience optimale » développée par le psychologue américain Mihaly Csikszentmihalyi,

Il s’agit d’une « période de concentration intense sur le moment présent, vécue en perdant la notion de temps qui passe, dans l’oubli de soi, au profit d’un engagement total dans l’action en cours », qui va jusqu’à faire oublier certains stimuli corporels (douleurs, raideurs, faim, soif)…

Alors l’oubli…s’oublie lui-même !

 

Un simple petit bout de papier l’a maintenu en vie…15 ans de plus !

Et puis je voudrais finir avec un dernier cas, l’histoire d’un patient atteint de la maladie d’Alzheimer, qui s’est mis à écrire ses souvenirs dès l’annonce de sa maladie, en 2001.

Alors qu’on ne lui donnait que quelques mois à vivre, il est décédé 15 ans plus tard, après avoir écrit un livre, plein de ses souvenirs qu’il s’est mis à collecter chaque soir.

Est-ce là encore le sentiment d’accomplissement qui a entretenu sa mémoire ?

Ou peut-être est-ce dû à l’acte d’écrire sur le papier…

Certaines études prouvent aujourd’hui que l’écriture manuscrite entretient mieux le cerveau

que le clavier , et une fois de plus, la sollicitation multisensorielle pourrait être l’explication :

  • la main qui guide le stylo et exerce une certaine pression sur le papier ;
  • le grain du papier
  • les lettres qui se forment petit à petit sur le papier, que nos yeux suivent ;
  • le bruit du stylo sur le papier, ou sur le support d’écriture ;

…Tout cela crée une activité intense dans les zones sensorimotrices du cerveau, qui apportent des points d’accroche à la mémoire !

L’ouïe, l’odorat, le toucher, le goût, la vue…

Négligés par (presque) tous les traitements actuels – qui ne donnent pourtant aucun résultat – les sens seraient-ils la piste à suivre face à Alzheimer ? 

C’est en tout cas celle que suivent certains pionniers, comme les chercheurs de l’Université de Northumbria en Angleterre, qui ont montré que certaines huile essentielle (romarin notamment) favorisait les fonctions cognitives par diffusion des composés volatils grâce à son activité anticholinestérasique (ce qui signifie qu’elle réduit la cholinestérase, responsable de la dégradation de l‘acétylcholine.3

Et puis retrouver le vertige des odeurs, des sons, des goûts, c’est reconnecter à la vie, au moins un instant, des malades qu’on croyait perdus.

Aucun médicament chimique n’est capable d’en faire autant.

Santé !

Gabriel Combris

 

Sources : 

1. Yonas E. Geda, et al. « Engaging in Cognitive Activities, Aging, and Mild Cognitive Impairment: A Population-Based Study », The Journal of Neuropsychiatry and Clinical Neurosciences 2011; 23:149 –154

2. Jill RileyBetsan CorkhillClare Morris, « The Benefits of Knitting for Personal and Social Wellbeing in Adulthood: Findings from an International Survey », The British Journal Of Occupational Therapy, 2013,

https://doi.org/10.4276/030802213X13603244419077

3. Plasma 1,8-cineole correlates with cognitive performance following exposure to rosemary essential oil aroma. Ther Adv Psychopharmacol. 2012 Jun;2(3):103-13. doi: 10.1177/2045125312436573