Chère lectrice, cher lecteur,

Cela n’a pas fait la une des journaux, mais le 14 novembre dernier est mort l’ethnobotaniste Pierre Lieutaghi, à l’âge de 84 ans.

Je ne l’ai pas connu personnellement, mais son Livre des Bonnes Herbes me semble parler pour lui ; il s’agit de l’une des lectures les plus poétiques et les plus utiles qu’on peut faire lorsqu’on s’intéresse aux plantes médicinales.

Je l’ai toujours à portée de main, sur une étagère de mon bureau où il trône en compagnie d’autres « grands classiques » de la santé naturelle.

Et je ne me lasse jamais de le relire.

On y retrouve la grande et la petite histoire des plantes, et au fil de ses pages se dévoile les visages méconnus de l’angélique, l’armoise, l’arnica, la bourrache, le marrube, la mélisse, la prêle et encore beaucoup d’autres.

Mais surtout, on retrouve, décrit par un esprit d’une grande pureté le « combat » qui se joue pour revenir à un monde plus simple.

Car ce livre qui date de 1966, avait déjà identifié les racines du mal qui nous ronge :

Notre civilisation tout entière, écrivait Lieutaghi, a atteint les limites de la négation de la nature. 

« Sous diverses formes des réactions apparaissent : pour les uns, la Nature est une verte parenthèse où l’on va oublier les soucis d’un texte de vie souvent trop monotone ; la plupart passeront des centaines de fois près d’une Mélisse, près d’un Sauge, près d’un Fenouil sans leur adresser un regard. »

« Pour d’autres, et ils ne sont pas tous, loin de là, botanistes ou ornithologues, la Nature est une source tangible de vraie vie où il est grand temps d’aller boire ; pour ceux-là, le mot de sacré garde un sens, ils savent que le monde vivant n’a pas été créé pour que nous l’ignorions, mais pour que nous sachions y puiser tout le bien qui, dès le premier atome de sable, y a été déposé pour nous. »

« Trop de médecins, submergés par la production pharmaceutique, surchargent à leur tour les clients d’une quantité de produits onéreux dont l’innocuité souvent affirmée demanderait plus que la confirmation des tests de laboratoire pour être acceptée sans sourciller : ce n’est guère pratiquer une médecine lucide que d’infester le corps pour chasser la maladie. »

« Pourtant, les plantes médicinales ne sont pas les idiotes du village de la thérapeutique. »

« Elles sont sans doute les gardiennes les plus fidèles et les plus respectueuses de notre santé. »

« Comment, lorsqu’un médicament inconnu assaille en nous la maladie, est-il réellement possible de rester maître de cette bataille ? »

« La plante, elle et surtout si nous l’avons nous-même récoltée, si nous avons un tant soit peu étudié ses propriétés, est au contraire obéissante et, quand nous l’utilisons, notre volonté, notre maîtrise de nous-même ne sont plus tenues pour quantités négligeables. »

LIeutaghi ne prêche pas contre la médecine officielle : dans les graves cas d’urgence où le médicament moderne se montre efficace, mieux vaut ne pas s’adresser aux simples.

Mais dans le mal chronique, où la science échoue trop souvent, les plantes, nous dit-il, se révèlent salutaires ; construisant peu à peu en nous de sûres défenses contre le mal.

« J’oserais même dire que la plante médicinale agit d’autant mieux qu’on la considère comme un être de beauté : alors elle guérit notre corps en fleurissant notre esprit : c’est le médicament « total » et bien malin le chimiste qui nous en vendra – très cher- d’artificiel. »

Tout ceci a été écrit il y a presque soixante ans, et je crois qu’il n’y a pas une ligne à changer. Pas plus que dans ce dernier conseil du botaniste, qui sonne comme un défi :

« Je peux, tu peux, nous pouvons transformer en bien le monde, à tout moment, partout. La beauté sera notre source. L’attention, notre geste. Notre énergie, l’amour, notre récompense, la joie. »

Alors en avant, et vive les bonnes herbes !

Gabriel Combris