Chère lectrice, cher lecteur,

L’actualité vibre au son du canon, de l’injure, de la dispute.

Des camps se forment et s’opposent : sur l’Ukraine, sur les vaccins, sur Israël et la Palestine, médias et réseaux sociaux sont inondés d’informations contradictoires, qui ne font que diviser un peu plus et attiser la colère…

On dirait qu’il se forme une colonne de feu montant vers le ciel…

Va-t-elle exploser ? …

Alors que cette perspective assez terrifiante occupe les esprits, une réflexion de la romancière anglaise George Eliot me paraît rassurante :

« Le bien qui grandit dans le monde, écrit-elle, dépend en partie d’actes non historiques ; et le fait que l’histoire échappe au pire doit largement au nombre de ceux qui ont vécu fidèlement une vie cachée, et reposent dans des tombes oubliées. »

Des vies de silence, dans un monde de confusion.

Des vies comme celle du professeur Dominique Bernard, assassiné à Arras le 13 octobre dernier, dont la veuve a fait ce merveilleux portrait :

« Il aimait Julien Gracq, Balzac, Proust, Claude Simon, Céline. Il aimait la poésie, René Char, Mallarmé. Il aimait la philosophie. Il aimait le cinéma, Truffaut, Kubrick, Orson Welles. Il aimait le Baroque. Il aimait Almodovar. Il aimait l’Italie, l’italien, la Toscane, Le Caravage. Il aimait Shakespeare, Beckett. Il aimait Matisse, Gauguin, Soulages. Il aimait Bach, Ravel. Il aimait le gothique, les cathédrales qu’on découvrait de ville en ville. Il aimait la Provence, ses couleurs, ses senteurs. Il aimait les étangs, les rivières, les forêts. Il aimait la lumière rasante du soir ».

« Il n’aimait pas l’informatique et les réseaux sociaux. Le téléphone, il n’en avait même pas. Il n’aimait pas la foule, ni les honneurs, les cérémonies qu’il avait en horreur. Il n’aimait pas le bruit et la fureur du monde. »

 Dominique Bernard était sans doute un de ces êtres qui vivent « fidèlement leur vie cachée ».

Et s’il a eu par son destin tragique, à affronter la lumière de l’actualité, je crois aussi qu’il aura contribué par sa discrète humanité à ce que « l’histoire échappe au pire ».

Et nous, comment agir ?

Lorsqu’on regarde la télévision, les guerres, les violences, on peut se sentir impuissant face à la déferlante du mal ; et de fait, qu’est-ce qu’on peut y changer ?

En tout cas chacun de nous peut faire un pas de côté.

Lâcher les téléphones, fermer les télévisions, éteindre ces connexions qui nous ramènent toujours au bruit, au brouhaha, à la confusion.

Et se recentrer sur soi-même, en silence.

Dans le jeûne alimentaire, l’organisme puise dans ses réserves de glucose, épuisées les premières 24 heures. Alors le métabolisme opère une transformation : les lipides (graisses) sont réquisitionnés puis transformés pour produire des corps cétoniques, qui remplacent les glucides nécessaires au fonctionnement du cerveau.

Il me semble que le bruit fonctionne un peu de la même façon.

Sans bruit, l’homme est fiévreux, perdu. Le bruit le sécurise, devient comme ce glucose dont il est parfois dépendant.

Le bruit est un tourbillon qui permet d’éviter de se regarder en face. Mais ce bruit est une « médication illusoire », et le corps comme l’esprit réclament un nettoyage par le silence.

C’est d’ailleurs ce que font les personnes qui méditent et qui savent qu’elles ne peuvent parvenir à lâcher prise que si elles atteignent le vrai silence intérieur.

Alors les effets sur le corps sont réels. Les quelques études qui se sont intéressées aux effets du silence sont assez impressionnantes :

  • Des chercheurs ont montré que 2 heures de silence par jour stimulaient la régénérescence des cellules de l’hippocampe, responsable de l’apprentissage, de la mémoire et des émotions.
  • Une étude a montré que 2 minutes de silence suffisent au corps pour libérer la tension liée au stress. Mais les chercheurs précisent qu’il s’agit bien de 2 minutes de silence complet et non de musique relaxante.

Mais il y a plus puissant encore…

Car dans notre monde consumériste et affairé, bruyant et tourmenté, le silence me semble apporter une indispensable contradiction.

Je m’explique.

Imaginez que vous êtes dans un bois, seul, sous de grands hêtres, des chênes, des charmes ou des trembles, tous ces arbres dont les feuilles bruissent doucement avec le souffle du vent.

Fermez les yeux. Quelques cris d’oiseaux, quelques craquements d’écorce et bientôt, plus rien qui perturbe le silence.

Et pourtant…ce n’est pas un silence « de mort », un vide lugubre, un de ces instants angoissants où la vie semble avoir été « aspirée ».

Ce qui ressemble à une absence, un vide, est en réalité la manifestation de la plus intense des présences.

Le silence, c’est le démarrage de la vie.

« Que deviendra notre monde s’il ne recherche pas des espaces de silence » s’interroge le cardinal ghanéen Robert Sarah.

« Le repos intérieur et l’harmonie ne peuvent découler que du silence. Les plus grands mystères du monde naissent et se déploient dans le silence ».

« Un arbre pousse dans le silence, et les sources d’eaux coulent d’abord dans le silence de la terre. Le soleil qui se lève nous réchauffe en silence, étincelant et grandiose. L’extraordinaire est toujours silencieux ».

C’est pourquoi, de la même façon qu’à notre corps qui déborde il faut faire parfois le cadeau du jeûne, à notre âme assiégée par le bruit, pensons de temps en temps à offrir le trésor du silence.

Santé,

Gabriel Combris

 


 

Sources :

[1] https://www.researchgate.net/publication/259110014_Is_silence_golden_Effects_of_auditory_stimuli_and_their_absence_on
_adult_hippocampal_neurogenesis

[2] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1860846/

[3] La force du silence, Editions Pluriel.