Le plus semblable aux morts…

Chère lectrice, cher lecteur,

Les partisans de l’euthanasie préfèrent parler de « droit àmourir dans la dignité » – au passage, je me demande ce que serait une mort « indigne » ? – mais cela ne change pas le fond du problème.

Euthanasier, ce n’est pas soigner. C’est tuer.

C’est faire un geste qui aura pour conséquence la mort d’un autre être humain. Et c’est pourquoi, même si on tourne autour des mots, cette perspective entre en contradiction avec l’idée de soigner

Comment un soin pourrait-il consister à donner la mort ?

Certes, lorsqu’on fait un sondage, et qu’on interroge des gens souvent bien portants, pour savoir s’ils aimeraient pouvoir interrompre des souffrances devenues trop lourdes, la réponse est écrasante en faveur de l’euthanasie.

Artocle

Mais il y a un détail à prendre en compte : nous parlons là au conditionnel.

Si j’étais malade, Si mes souffrances étaient insupportables, alors je voudrais avoir la possibilité de mourir…

Peut-être.

Mais la réalité auprès des personnes en fin de vie, dans les services de soin palliatifs, montre que le « oui à la mort digne » clamé par le bien portant se fait de plus en plus timide chez les malades, y compris chez ceux qui sont en très grande souffrance.

« Le plus semblable aux morts meurt le plus à regret », écrivait la Fontaine.

Et c’est ce que constatent les soignants, qui côtoient les mourants dans les unités de soin palliatifs.

« Sur les 800 patients pris en charge par notre équipe chaque année, explique ainsi le docteur Alexis Burnod, chef des soins palliatifs de l’Institut Curie l’immense majorité souhaite qu’on les aide à avoir une vie plus supportable. »

On parle bien de vivre !

L’institut Curie accueille pourtant des patients gravement malades, ou en fin de vie du cancer[1].

« Certes, quelques-uns nous disent qu’ils veulent mourir, mais leurs demandes s’estompent le plus souvent grâce au soutien apporté par la prise en charge palliative. »

« Cela nous incite à vouloir intervenir de manière plus précoce. Car c’est plus facile de prévenir les souffrances que de les soulager ! » 

Et lorsqu’on lui demande s’il n’est pas régulièrement confronté à des patients qui réclament l’euthanasie, sa réponse est surprenante.

« Cela arrive très rarement. Là aussi, c’est l’occasion d’une discussion en vérité où l’on cherche les causes de cette demande ».

« Il y a un mois, un monsieur de 65 ans souffrant de gêne respiratoire, de douleurs et ne pouvant plus faire ses courses tout seul, a évoqué ce scénario. On a passé du temps en consultation à détailler les douleurs, les insomnies, sa logistique au quotidien. »

Détailler les douleurs…voilà une approche intéressante, qui peut aussi servir en dehors des soins palliatifs.

Regardez par exemple ce « camembert de la douleur », d’une femme souffrant de douleurs chroniques « insupportables ». Les causes de sa souffrance, physique et morale, y sont représentées en différentes portions.

schéma

Ce genre d’outil lui a été utile pour prendre conscience que la sensation de douleur n’est qu’une portion de ce qui engendre sa souffrance globale.

Elle a pu alors se fixer des objectifs plus réalistes que « zéro douleur », et vouloir recommencer à vivre avec les douleurs, en travaillant notamment sur d’autres aspects de sa souffrance (la tristesse, la fatigue, le lien social, etc.).

Avec son patient de 65 ans qui voulait mourir, l’équipe de l’institut Curie a également bâti ensemble un projet de soin, et aujourd’hui il ne fait plus de demande d’euthanasie.

Pour le docteur Burnod, c’est d’ailleurs moins la douleur que « le sentiment de ne pas se sentir soutenu et accompagné par l’entourage et les soignants qui alimente en majorité la peur de la fin de vie. »

Voilà, il me semble, le vrai sujet de la fin de vie.

Les scandales récents dans les EHPAD ont hélas montré à quel point la fin de vie est aujourd’hui méprisée. Près de 80 % des Français meurent à l’hôpital, loin de chez eux, loin des objets, des souvenirs, des personnes qui leur sont chers.

Mais un autre chemin est possible :

Au centre Marc Jacquet de Melun, on diffuse des huiles essentielles (ravintsara, lavande, ylang-ylang) dans le simple but de faire ressentir un plaisir olfactif aux personnes en fin de vie.

Le CHU de Clermont-Ferrand a ouvert un « bar à vin », au service de soins palliatifs. « On a le droit de se faire plaisir, même en fin de vie ! » explique le Dr Virginie Guastella, chef de service. Bravo ! [2]

Ailleurs, comme à la maison Jeanne Garnier, à Paris, à la maison de Nicodème de Nantes, des bénévoles accompagnent les mourants dans leurs derniers instants. Ils leur parlent, leur rendent des petits services, souvent se contentent d’une simple présence silencieuse.

L’une de ces bénévoles tient sur Internet un blog où elle raconte ces moments de vie « à la frontière de la mort, mais pleinement dans la vie »… [3]

L’intensité qui s’en dégage est extraordinaire.

Moments de vérité, d’extase, de tristesse, de désespoir, moments ordinaires aussi. En découvrant les histoires de ceux qui arrivent à la toute fin, on se demande vraiment au nom de quoi on devrait les en priver ?

Aujourd’hui sur 300 000 patients qui devraient être pris en charge en soins palliatifs, seuls 100.000 y ont accès…

Or cela pourrait tout changer.

La preuve, avec une des patientes de l’Institut Curue, une femme de 60 ans atteinte d’un cancer généralisé, qui souhaitait que le dr Burnod la remette sur pied pour aller en Suisse, pays où le suicide assisté est légal.

« J’ai compris que c’était un suicide assisté pour lequel elle avait versé une caution. »

« Ce moment d’échange a été l’occasion d’une grande discussion, on lui a montré ce qui était possible comme accompagnement, elle ignorait ce qu’on pouvait faire en soin palliatif, elle a renoncé au projet, vécu 3 mois de plus, elle est décédée paisiblement après avoir passé la plupart de son temps au domicile. Elle était militante de la première heure, depuis trente ans. »

Alors pour finir, où se trouve la priorité ? Dans la légalisation de l’euthanasie, comme il semble que ce soit la volonté du gouvernement ?

Ou dans l’augmentation de l’offre de soins pour permettre aux gens de continuer dignement de vivre le temps qu’il reste.

« C’est là, conclut le dr Burnod, le bon usage du mot « dignité » qui est utilisé à tort et à travers dans ce débat ».

Je sais que certains d’entre vous ne seront pas d’accord avec le propos de cette lettre, et je vous invite bien sûr à me faire part de votre opinion en commentaire.

Sur un sujet aussi sensible, je crois que tous les arguments lorsqu’ils sont exposés avec courtoise et sincérité méritent d’être entendus.

Santé !

Gabriel Combris


Sources :