Stupeur en pleine rue !
Un inconnu vous aborde et vous interroge sur…vos intestins

Chère lectrice, cher lecteur,
 
Au train où vont les choses, attendez-vous prochainement à ce qu’un inconnu en blouse blanche (et non pas en imper beige) vous accoste dans la rue et vous demande s’il peut jeter un œil…à votre microbiote !!!
 
Euh…
 
Pas de panique, ce n’est pas un « bizarroïde sexuel » ni le membre d’une secte gastro-intestinale …
 
C’est probablement un scientifique de haut niveau !
 
Il faut dire que les chercheurs sont actuellement « chaud bouillant » sur nos intestins !
 
Ils font, quasiment chaque jour, des découvertes sur l’immense potentiel thérapeutique du microbiote, dont certaines ouvrent des pistes majeures pour la santé.   

Lire dans les selles pour les nuls

 
En juin dernier, ce sont des chercheurs japonais qui ont identifié le rôle d’un déséquilibre du microbiote dans l’apparition du cancer (colorectal)[1].
 
En analysant les selles de plus de 600 patients, cette équipe de l’université d’Osaka a montré que le cancer du colon pouvait se détecter très tôt, en observant certains changements de populations bactériennes dans le microbiome intestinal (avec une augmentation de la présence de bactéries comme Fusobacterium nucleatum, Atopobium parvulum ou Actinomyces odontolyticus).
 
Évidemment, il est déjà précieux de pouvoir identifier de façon aussi précoce la présence cancéreuse, mais une question brûle aussitôt les lèvres : pourrait-on inverser la progression du cancer en agissant sur la « qualité » du microbiote ??  
 
Il est encore trop tôt pour le dire, mais on sait déjà ce mécanisme a formidablement bien fonctionné dans d’autres pathologies.
 
Dans les années 2000, des chercheurs ont ainsi observé que des souris obèses avaient un microbiote différent de celles qui étaient « normales ».  
 
Et lorsqu’ils ont transplanté la flore de souris minces à ces souris obèses, ces dernières ont réduit leur surpoids !
 
Ce lien entre flore intestinale et surpoids a depuis été également établi chez l’homme, puisqu’on retrouve une flore appauvrie chez 30% des personnes en surpoids et 75 % des personnes obèses.

En particulier, le microbiote des personnes en surpoids est appauvri dans sa diversité au profit de la famille Bactéroïdes, et au détriment des familles Prevotella et Ruminococcus.

La drôle de soupe d’un médecin chinois

 
Maintenant, j’aimerais revenir sur l’une des techniques les plus fascinantes aujourd’hui utilisée par les « médecins du microbiote ».

La transplantation fécale.

Une transplantation du microbiote fécal (TMF), consiste à introduire dans le tube digestif d’un malade des matières fécales d’un donneur sain afin de reconstituer la biodiversité de sa flore intestinale.
 
Plusieurs voies d’administration sont possibles : soit par une sonde insérée dans le nez jusqu’à l’intestin, par coloscopie (sonde est alors introduite au niveau de l’anus) ou par lavements.
 
Je parle de technique « fascinante » non pas pour son aspect « original », mais parce qu’elle montre que ce qui est aujourd’hui à la pointe de la recherche scientifique était connu…depuis des millénaires !

Au IVe siècle déjà, le médecin et pharmacien chinois Ge Hong, administrait en effet des « suspensions fécales » pour traiter les intoxications alimentaires et les diarrhées sévères.
 
La médecine chinoise a poursuivi cette utilisation d’excréments, sous forme sèche, fraîche ou fermentée pour traiter des maux intestinaux, la douleur ou la fièvre…
 
Il faut reconnaître qu’au premier abord, l’idée n’est franchement pas séduisante. Les médecins chinois eux-mêmes avaient senti le coup puisqu’ils avaient rebaptisé le procédé sous le nom de « soupe dorée », histoire de le rendre plus acceptable…
 
Toujours est-il que la médecine moderne l’a redécouvert il y a quelques années, avec la publication en 2013 d’une étude dans le New England Journal of Medecine, révélant l’efficacité très prometteuse de la transplantation fécale face aux infections à la bactérie Clostridium difficile.
 
Mais elle est envisagée comme approche thérapeutique dans le cadre de pathologies très variées, dès lors qu’elles sont associées à un déséquilibre de la flore intestinale :
 
Actuellement, plus de 200 essais cliniques sont organisés à travers le monde, sur des thèmes aussi variés que le syndrome de l’intestin irritable, le diabète, les maladies auto-immunes ou cardiovasculaires… et même des troubles d’ordre neurologique.
 
Récemment, des chercheurs finlandais ont ainsi montré que le microbiote de patients atteints par la maladie de Parkinson présentait une quantité réduite de bactéries de la famille des Prevotellaceae[2].
 
Par ailleurs, les malades souffrant de troubles sévères de l’équilibre et de difficultés à marcher abritent une plus grande population d’une autre famille bactérienne, les Enterobacteriaceae.  
 
Ces caractéristiques pourraient ainsi être utilisées comme moyen de diagnostiquer l’affection, mais aussi de la soigner par un « rééquilibrage » du microbiote.

Le 5 étoiles de la matière fécale 

 
Il existe même aujourd’hui des banques de selles (notamment l’américaine OpenBiome – organisme à but non lucratif) qui collectent les excréments de donneurs sélectionnés pour la qualité de leur microbiote. Et en France, ces matières fécales « cinq étoiles », si on peut dire, ont même le statut de…médicament ! 
 
Imaginer que les « déchets » du corps puissent nous soigner !?
 
N’est-ce pas étonnant, que le plus « inutile » en apparence, le plus « sale » de ce que nous produisons puisse avoir aussi un rôle essentiel…
 
Voilà une vérité qui dérange peut-être, mais qui rappelle aussi que les frontières habituelles que nous dressons, le bien, le mal, l’utile ou l’inutile, ce qui soigne et ce qui ne soigne pas, sont bien fragiles.
 
Du sable sur du sable… 
 
Santé !
 
Gabriel Combris

 

 

 Sources :

[1] https://www.nature.com/articles/s41591-019-0458-7

[2] Scheperjans F. Mov Disord. 2015 Mar;30(3):350-8. doi: 10.1002/mds.26069. Epub 2014 Dec 5. Gut microbiota are related to Parkinson’s disease and clinical phenotype.