Chère lectrice, cher lecteur,

« Gaspiller son temps est le premier de tous les péchés, et chaque heure perdue est soustraite au travail » clamait l’esprit moderne, volontariste et industriel du XIXème siècle, selon le sociologue Max Weber1.

Ainsi l’homme contemporain s’est-il mis en conformité avec les lois du marché, de l’expansion et du toujours plus, avec des conséquences évidentes sur sa santé, notamment par la diminution du temps de…sommeil. Assimilé à du « gaspillage ! »

Et pourtant…

Ce n’est pas du tout pour cela que nous avons été « programmés ».

A l’époque de notre ancêtre chasseur-cueilleur, par exemple, le patrimoine génétique de l’humain et son mode de vie étaient adaptés l’un à l’autre :

« On dormait suffisamment – près de l’équateur, où se trouve le berceau de l’humanité, le jour et la nuit ont à peu près la même durée..

« On avait une activité intense pour trouver de la nourriture. Et une fois rassasié, l’être humain cessait de travailler.

« Cet équilibre permettait de dire « c’est assez » Ce sont à ces conditions préhistoriques que nous sommes encore parfatiement adaptés »2

Or, en peu de temps, et avec une rapidité accrue avec l’industrialisation et la mondialisation, notre culture a changé plus vite qu’il n’est possible à nos gènes de s’adapter. Et comme nos besoins, eux, sont pour la plupart restés inchangés, des carences sont apparues.

C’est criant pour le sommeil.

Aujourd’hui on dort en moyenne moins de sept heures par nuit. Il y a cent ans, c’était deux heures de plus.

L’arrivée récente du smartphone dans les lits explique à elle seule pourquoi la durée moyenne du sommeil des Français s’est réduite d’une heure en quelques années, de deux heures pour les adolescents.

Aujourd’hui, près d’un tiers des jeunes ne dorment en moyenne que 5h40 par nuit.

Et tout cela alors que notre organisme, lui, est toujours adapté au cycle jour/nuit de deux fois douze heures tel qu’il est naturel on l’a dit, dans la zone de l’équateur.

Les conséquences de ce manque de sommeil chronique, c’est un vieillissement prématuré de tous les appareils anatomiques.

Pour le Pr Van Cauter, de l’Université de Chicago, « le manque de sommeil chronique n’a pas qu’un rôle aggravant sur les maladies liées à l’âge, comme le diabète, la tension, l’obésité et la perte de mémoire : il est aussi la cause de leur déclenchement prématuré »

La cause !!! Et c’est vrai aussi pour la maladie d’Alzheimer.

Le grand ménage qui a lieu la nuit

Car la nuit, il faut le rappeler, est un moment essentiel pour notre cerveau : il en profite en effet pour « libérer de la place » pour notre prochaine ration quotidienne de vécu.

Le fonctionnement normal du cerveau éveillé produit irrémédiablement des déchets toxiques.

Or ceux-ci ne peuvent pas être éliminés lorsqu’il est en mode actif. Le grand ménage a lieu pendant le sommeil ; c’est grâce à lui que les toxines ne s’accumulent pas dans le cerveau, où elles nuiraient aux facultés cognitives.

Pour résumer simplement ce qui se passe dans votre cerveau pendant que vous dormez, le dr Michael Nehls a une explication très simple :

« Pendant le sommeil profond, les neurones rétrécissent et l’espace interstitiel, c’est-à-dire les écarts entre les tissus du cerveau, augmente. Résultat : le liquide cérébrospinal circule mieux et peut évacuer les tonies, comme la béta-amyloide en excès ou déjà toxique ».

Ainsi, un manque de sommeil chronique entraîne une réduction de la taille de l’hippocampe, avec un risque plus grand d’agrégation de la protéine béta-amyloïde, caractéristique de la maladie d’Alzheimer.

C’est l’une des raisons pour lesquelles dans son protocole Recode (l’un des seuls protocoles au monde qui a permis à des patients atteints d’Alzheimer de récupérer une grande partie de leur faculté cognitive), le docteur. Dale Bredesen place le sommeil au cœur de sa stratégie.

Une de ses patiente, âgée de 66 ans s’était retrouvée à plusieurs reprises dans l’incapacité de se souvenir où elle avait garé sa voiture au parking.

En quatre mois seulement, elle a réussi à retrouver l’intégralité de ses facultés. Ses symptômes avaient disparu. Plusieurs années après, elle continue toujours à travailler comme analyste financière !

Entre autres changements, elle s’était mise à dormir sept à huit heures par nuit, contre quatre à cinq auparavant.

Une augmentation considérable, aidée par la prise de mélatonine, et à laquelle ont également contribué la pratique de yoga et de méditation, c’est-à-dire d’effort physique et de réduction du stress.

Si vous avez plus de 50 ans, et que votre sommeil s’est détérioré alors que vous dormiez bien lorsque vous étiez plus jeune, vous pouvez faire l’essai de mélatonine à dose faible (0,3 mg un peu après le repas du soir).

Autre exemple, dans une étude sur des souris à qui on inocule le gêne d’Alzheimer, elles ne développent la maladie que si on leur impose un mode de vie contraire à leur nature, fondé sur un apport alimentaire important, une activité physique réduite, un manque de sommeil et une absence de contacts sociaux3.

On voit que le « gaspillage de temps » comme disent certains, n’est pas toujours là où ils croient.

Geste barrière contre Alzheimer (votre patron va être furieux)

Et pour finir, abordons un dernier « indice » qui nous montre que nous sommes encore influencés par le ryhtme de la « journée préhistorique » : notre besoin de faire la sieste.

Pas question en effet là où l’humanité a vu le jour, d’aller chasser ou cueillir en pleine savane aux heures plus chaudes.

Aujourd’hui encore, à ces mêmes heures, notre programme génétique régule automatiquement à la baisse la concentration de cortisol dans le sang,

Et lutter contre ce processus, nous dit le dr Nehls, c’est « se faire plus de mal que de bien ». Caramba !

C’est d’ailleurs ce qu’a montré une étude grecque de 2007 sur près de 25 000 personnes en bonne santé : après une période d’observation de six ans, ceux qui faisaient une courte sieste avaient un taux d’infarctus réduit de 37 %4 !

Alors chaque heure de sieste est peut-être perdue du point de vue du patron d’usine du XIXème siècle, mais certainement ni pour vous, ni pour moi, ni pour notre santé cognitive.

Santé !

Gabriel Combris

 

Sources :

[1] https://books.google.fr/books?id=CvmueDGuRTIC&pg=PP80&lpg=PP80&dq=max+weber+gaspiller+son+temps&source=bl&ots=RjUvGXxCxK&sig=ACfU3U2hwOi4SvlMVuMkQ7K9iC-UciGzWQ&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjcncju57_pAhUIzoUKHUTGCygQ6AEwCnoECAwQAQ#v=onepage&q=max%20weber%20gaspiller%20son%20temps&f=false

[2] In dr. Michaels Nehls, Guérir Alzheimer, éditions Actes Sud.

[3] in Dr Michael Naehls, Guérir Alzheimer, Actes Sud p.47.

[4] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/17296887