Chère lectrice, cher lecteur,

Il y a quelque chose que je trouve étrange avec les sportifs de l’extrême.

On les voit s’élancer à l’assaut des pistes, des montagnes, pour des courses épiques de plusieurs centaines de kilomètres où ils repoussent leurs limites physiques au prix d’une souffrance terrible.

Giga Trail, Ultra Trail, Marathon de l’extrême, etc.

Partout, on veut courir plus vite, aller plus haut, plus loin, plus fort.

L’objectif officiel :

Donner le meilleur de soi, affronter ses limites, se dépasser.

Seulement ?

Dans cette quête d’exploit, il me semble que le quantitatif reste bien souvent le dénominateur commun. La compétition fait rage, elle privilégie le plus à la place du juste, le plein à la place du bien.

Alors, la recherche de la performance est-elle une maladie ? A partir de quand devient-elle une obsession malsaine ?

Je ne prétends pas avoir la réponse mais dans un monde drogué à la compétition, à la performance, à la « gagne, il me semble que la question mérite qu’on s’y intéresse.

Récemment d’ailleurs des chercheurs en économie se sont demandé si « courir 42 kilomètres (la distance d’un marathon), c’était bon pour le business ? »

Eh bien les résultats d’une étude présentée lors de la conférence annuelle de la Strategic Management Society, suggèrent que oui.

Ses auteurs ont croisé la liste des PDG des 1500 plus grandes sociétés cotées américaines, sur 10 ans, avec celles des participants aux principaux marathons.

Résultat : non seulement près de 10 % des PDG ont terminé au moins un marathon, ce qui est largement plus que la moyenne.

Mais surtout, la croissance de la valeur de leurs sociétés, toutes choses égales par ailleurs, serait supérieure de 5,9 % chez ceux qui courent le marathon.

L’explication la plus plausible : les « cinglés de la performance » la recherchent…toujours et partout !

Dans l’argent, dans le travail, dans la sexualité, dans la reconnaissance ou encore le sport.

Ce n’est pas un hasard si tant de cadres dynamiques, de pdg ambitieux parcourent le monde pendant leurs « vacances » pour se frotter à un nouveau défi, un nouveau record.

Tchouf tchouf…le petit train accélère, plus vite, plus vite encore.

Mais pour aller où ?

Et l’exploit, qu’est-ce que c’est ?

Est-ce le cri de celui qui veut qu’on l’admire ou l’abnégation du jeune chef qui ouvre la route, pour que d’autres puissent l’emprunter ?

Est-ce les deux à la fois ?

Et nous, qui assistons à ces exploits sans y prendre part…Cela nourrit-il notre envie de nous dépasser à notre tour, ou notre frustration d’être derrière ?

Pas si simple de répondre…

Vivre en soi-même et non plus au-delà

Le journaliste santé Emmanuel Ducocq a publié il y a quelques années un article très intéressant sur le « besoin » de se dépasser dont il a lui-même été…victime1 :

« J’aurais pu, moi aussi, faire partie des victimes du sport extrême. Sans le savoir, j’en avais le profil. À vingt ans, j’ai été initié à la plongée en apnée par un ami. J’ai très vite voulu repousser mes limites et je me suis entraîné pour cela. C’était exaltant de pouvoir bientôt rester plusieurs minutes sous l’eau, dans le bleu. Je frôlais, dans mon coin, certains records de l’époque… »

« Mais eu bout de quelques jours sans activité physique, je me sentais nerveux et anxieux. Je pensais que c’était là quelque chose de sain et de normal et que mon corps m’indiquait simplement qu’il avait besoin de bouger. Mais un jour, je me suis demandé si ce n’était pas là le signe d’un problème… »

« C’en était un, en effet. Et je n’en ai pris la mesure réelle que lorsque j’y ai mis fin. Un jour, en effet, ce fut une vraie surprise de constater que mon besoin de me surpasser physiquement avait lâché. Un autre jour, ce fut le besoin d’être levé avant tout le monde le matin. Puis un autre, celui de me rendre utile à autrui pour me sentir bien. Peu à peu, plein de choses qui me paraissaient nécessaires à mon équilibre n’étaient plus utiles. J’ai alors compris que j’avais été anxieux auparavant. »

« Alors c’est vrai, je ne suis ni un héros ni un chasseur de records. Tout simplement parce que je ne ressens plus le besoin d’aller au bout de moi-même, voire au-delà, pour me sentir vivre. J’ai plutôt envie de partager les outils que j’ai mis à profit et que je découvre encore pour être vraiment bien sans avoir besoin de sortir de soi. »

Oui, il y a une joie profonde à se contenter.

Se contenter de ce qu’on a, de ce qu’on sent, de ce qui nous entoure et qu’on voit, qu’on touche ou qu’on goûte.

Car se contenter, ce n’est pas renoncer.

« Ce n’est pas péjoratif, écrit le navigateur Olivier de Kersauson. Revenir au bonheur de ce que l’on a, c’est un savoir-vivre. ».

Mais plus encore, Emmanuel Lecoq souligne le bonheur de partager.

C’est cette belle idée que l’on retrouve dans le conte philosophique Jonathan Le Goéland, que je vous conseille vivement si vous ne l’avez pas déjà lu.

Arrivé après des années d’entraînement à la plus parfaite maîtrise de son vol, le goéland comprend que le dépassement de soi n’a rien à voir avec la maîtrise technique ou l’esprit decompétition

Faire mieux, plus fort, plus loin, réaliser ce que personne n’a fait avant vous, cela n’a pas de sens en soi.

Jonathan, lui, comprend qu’il existe quelque chose de beaucoup plus fort.

Quelque chose qu’il découvre au moment de transmettre son savoir à d’autres goélands, d’apprendre à d’autres oiseaux avides à leur tour de prendre leur envol : l’amour de son prochain.

La plus puissante de toutes les vitamines qu’on puisse avaler.

Le plus « doué » de tous les médecins. 

Santé !

Gabriel Combris

 

Sources : 

1.  https://www.santenatureinnovation.com/reponse-a-jean-marc-dupuis-sur-les-sports-extremes/