Chers lecteurs,

La commission des affaires sociales de l’Assemblée Nationale a voté, vendredi 2 mai au soir, une proposition de loi « relative au droit à mourir »…

Plutôt que de parler d’euthanasie ou de suicide assisté, ce qui est un peu gênant, les députés préfèrent en effet utiliser des mots qui font moins peur.

D’où ce « droit à mourir » au nom particulièrement ridicule, tant la mort est moins un « droit » qu’une certitude totale, absolue, concernant le vivant dans son intégralité, sans distinction de quoi que ce soit.

Mais il faut dire que depuis le début des discussions sur l’euthanasie, nous sommes entrés dans un monde où les mots ont perdu leur sens.

Je vous avais déjà signalé les propos ahurissants du rapporteur général de cette commission de loi, le député Falorni, qui disait il y a un an :

« L’aide à mourir pour l’immense majorité des gens, ça sera une aide à vivre ».

Tuer quelqu’un, c’est donc l’aider à vivre !?

Mais si « mourir » c’est « vivre », alors « la vérité » c’est le « mensonge » ! Alors « la guerre, c’est la paix », ou « la liberté, c’est l’esclavage », comme l’avait prophétisé l’écrivain Georges Orwell.

Si mourir c’est vivre, alors tout est n’importe quoi. Tout s’effondre. Le ciel devient la mer. La gentillesse est un crime. L’amour est plus grave que le meurtre.

Et on ne s’étonnera pas dans ces conditions de voir avec quelle absence de mesure, d’humanité, de contrepoids, les députés ont adopté leur proposition de loi.

Sur un sujet qui pose des questions aussi difficiles, strictement rien n’est fait pour prévenir la catastrophe. Au contraire.

Celui qui aime la vie est-il coupable ?

D’abord avec le délit d’entrave, qui est introduit dans ce projet de loi.

Si la loi était votée telle quelle, il serait donc interdit et puni (un an de prison et quinze mille euros d’amende) d’essayer de convaincre un proche, un parent, un enfant, de renoncer à son « droit à mourir »…

Pourtant le rôle de la psychiatrie, est bien de tenter d’empêcher le passage à l’acte suicidaire, non ?

Pourtant des associations comme SOS Suicide réussissent bien, par l’écoute et la parole, à sauver des vies ?

Ils ne savent pas, nos députés, à quel point la discussion, l’écoute, peuvent tout changer, y compris dans les cas en apparence les plus désespérés ????

Il faudrait leur afficher les résultats de la grande étude de l’Université de Liège, en Belgique, réalisée auprès de patients « emprisonnés dans leur corps », conscients mais totalement paralysés, et ne pouvant communiquer qu’en bougeant les yeux1.

Les chercheurs leur ont demandé s’ils se sentaient « heureux ».

Réponse : 72 % ont dit OUI !

« Mais comment est-ce possible ? » Réponse de Steven Laureys, le neurologue qui a conduit l’étude :

« Cela peut paraître surprenant pour nous, de l’extérieur, mais certains patients font preuve d’une énorme capacité d’adaptation à leur nouvelle situation. »

« Beaucoup évaluent leur qualité de vie à un meilleur niveau que je n’aurais jugé la mienne !!! ».

C’est peu de dire que ce n’est pas exactement le genre de résultat auquel on s’attendrait, et qu’il n’est tout à fait inutile d’échanger avec ces malades pour avoir leur ressenti réel, et pas l’impression qu’on pourrait avoir nous, du haut de notre certitude de « bien portants ».

L’environnement familial, notamment, stimule énormément la conscience de ces personnes et leur procure une source de grande énergie : qu’ils soient à la maison ou à l’hôpital, tous ceux qui se sont réveillés avaient une présence très forte de leurs proches à leurs côtés.

Il faut savoir aussi que ceux qui s’estimaient le plus malheureux étaient aussi ceux dont l’accident était le plus récent.

Et il est en effet fréquent pour les accidentés lourdement handicapés de ressentir une dépression profonde… puis, progressivement, de s’adapter à leur nouvel état, voire de l’accepter et de le…dépasser !

Personne n’a envie de souffrir

Aux Etats-Unis, dans les états qui ont légalisé le suicide assisté, le pourcentage des malades qui, à la fin de l’année, n’ont pas pris le poison mis à leur disposition – prescrit la même année ou auparavant – est loin d’être négligeable : jusqu’à 50 %.

Comme l’écrit Michel Houellebecq, dans une tribune opposée à l’euthanasie2, « personne n’a envie de mourir. On préfère en général une vie amoindrie à pas de vie du tout ; parce qu’il reste de petites joies ».

Mais l’écrivain ajoute aussitôt que « personne n’a envie de souffrir ».

Et c’est le deuxième énorme problème du projet de loi. Car il ne faudrait pas que certaines personnes aient recours à l’aide à mourir, par défaut de soins. Or rien n’est prévu à ce sujet.

Il faut pourtant regarder la réalité des services de soin palliatifs pour se rendre compte que là non plus, rien ne se passe comme on l’imagine quand on « va bien ».

« Le plus semblable aux morts meurt le plus à regret », écrivait la Fontaine.

Et c’est ce que constatent les soignants, qui côtoient les mourants dans les unités de soin palliatifs.

« Sur les 800 patients pris en charge par notre équipe chaque année, explique ainsi le docteur Alexis Burnod, chef des soins palliatifs de l’Institut Curie l’immense majorité souhaite qu’on les aide à avoir une vie plus supportable. »

On parle bien de vivre !

L’institut Curie accueille pourtant des patients gravement malades, ou en fin de vie du cancer3

« Certes, quelques-uns nous disent qu’ils veulent mourir, mais leurs demandes s’estompent le plus souvent grâce au soutien apporté par la prise en charge palliative. »

« Cela nous incite à vouloir intervenir de manière plus précoce. Car c’est plus facile de prévenir les souffrances que de les soulager ! »

 
Et lorsqu’on lui demande s’il n’est pas régulièrement confronté à des patients qui réclament l’euthanasie, sa réponse est surprenante.

« Cela arrive très rarement. Là aussi, c’est l’occasion d’une discussion en vérité où l’on cherche les causes de cette demande ».

« Il y a un mois, un monsieur de 65 ans souffrant de gêne respiratoire, de douleurs et ne pouvant plus faire ses courses tout seul, a évoqué ce scénario. On a passé du temps en consultation à détailler les douleurs, les insomnies, sa logistique au quotidien. »

Détailler les douleurs…voilà une approche formidable, qui peut aussi servir en dehors des soins palliatifs.

Étonnant fromage

Regardez par exemple ce « camembert de la douleur », d’une femme souffrant de douleurs chroniques « insupportables ». Les causes de sa souffrance, physique et morale, y sont représentées en différentes portions.

Ce genre d’outil lui a été utile pour prendre conscience que la sensation de douleur n’est qu’une portion de ce qui engendre sa souffrance globale.

Il ne veut plus mourir

Elle a pu alors se fixer des objectifs plus réalistes que « zéro douleur », et vouloir recommencer à vivre avec les douleurs, en travaillant notamment sur d’autres aspects de sa souffrance (la tristesse, la fatigue, le lien social, etc.).

Avec son patient de 65 ans qui voulait mourir, l’équipe de l’institut Curie a également bâti ensemble un projet de soin, et aujourd’hui il ne fait plus de demande d’euthanasie !!!

Pour le docteur Burnod, c’est d’ailleurs moins la douleur que « le sentiment de ne pas se sentir soutenu et accompagné par l’entourage et les soignants qui alimente en majorité la peur de la fin de vie. »

Ajoutons ces mots de Michel Houellebecq, là-encore, citant le livre des morts tibétains, le Bardo Thodol :« L’agonie est un moment particulièrement important de la vie d’un homme, car elle lui offre une dernière chance, même dans le cas d’un karma défavorable, de se libérer du samsara, du cycle des incarnations. Toute interruption anticipée de l’agonie est donc un acte franchement criminel ; malheureusement, les bouddhistes interviennent peu dans le débat public ».

Voilà, je crois, les vrais sujets de la fin de vie.

Voilà ce qu’évite soigneusement le projet de loi délirant des députés, qui en plus de n’offrir aucun espoir aux malades en fin de vie, ne propose pas non plus de clause de conscience renforcée aux soignants.

Alors demain, seront-ils obligés de tuer ?

L’honneur d’une civilisation

Ne me dites pas que la question est excessive.

Elle est en ligne de mire. Et Houellebecq de conclure :

« Il est indéniable que certains médecins résistent, se refusent obstinément à donner la mort à leurs patients, et qu’ils resteront peut-être l’ultime barrière. Je ne sais pas d’où ça leur vient, ce courage, c’est peut-être juste le respect du serment d’Hippocrate : « Je ne remettrai à personne du poison, si on m’en demande, ni ne prendrai l’initiative d’une pareille suggestion».

« C’est possible ; ça a dû être un moment important, dans leurs vies, la prononciation publique de ce serment. En tout cas c’est beau, ce combat, même si on a l’impression que c’est un combat « pour l’honneur ».

« Ce ne serait d’ailleurs pas exactement rien, l’honneur d’une civilisation… »

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Gabriel Combris

PS. Les débats sur le projet de loi commenceront le 12 mai pour deux semaines, avec une discussion générale commune, et deux votes solennels prévus le 29 mai.

PS2. Est-ce que vraiment notre civilisation risque l’effondrement, comme le prédit Houellebecq ? Y-a-t-il un plan derrière ? Un scientifique répond à cette question taboue. A consulter ici.


Sources :

[1] https://bmjopen.bmj.com/content/1/1/e000039

[2] https://www.lefigaro.fr/vox/societe/michel-houellebecq-une-civilisation-qui-legalise-l-euthanasie-perd-tout-droit-au-respect-20210405

[3] https://www.parismatch.com/actu/sante/je-minquiete-de-lidee-quun-etat-decide-dorganiser-la-mort-programmee-216328