Chère lectrice, cher lecteur,

Il paraît que nous allons bientôt entrer en concurrence avec les robots.

D’ailleurs, on ne dit plus « robot », on dit « intelligence artificielle », et la compétition avec notre intelligence humaine, risque de faire des dégâts.

Le chirurgien urologue Laurent Alexandre, militant d’un homme aux capacités augmentées par la technologie, a déjà identifié les perdants du monde qui arrive : les personnes avec moins de 150 de QI (quotient intellectuel), qui d’après lui, ne « serviront plus à rien ! » [1].

Le chirurgien et promoteur du « transhumanisme » Laurent Alexandre, en pleine conférence.

Dans une conférence devant des étudiants de Polytechnique et de l’Ecole Normale Supérieure, ce médecin a même précisé sa vision du monde de demain, qui sera partagé entre les « Dieux », maîtres des intelligences artificielles, et les autres, les « Inutiles » [2], des êtres intellectuellement inférieurs et incapables de maîtriser ces nouveaux enjeux [3].

Personnellement, je n’ai aucun doute sur la catégorie dans laquelle me classe Monsieur Alexandre…

Lorsqu’on croit aux vertus des tisanes, des cataplasmes, lorsqu’on s’émerveille devant les fleurs de l’aubépine, de la chélidoine, du sureau ou de l’armoise, lorsqu’on croit qu’on peut s’instruire ailleurs que sur les bancs de l’Ecole Polytechnique, dans les champs, dans les bois, les forêts, lorsqu’on est habité de ce sentiment qu’il existe un Grand Lien, qui nous rattache par la Nature et l’Esprit aux vies qui nous ont précédé, à quoi servons-nous ?

A rien ? Sommes-nous les « Inutiles » ?

Ils sont le 1, nous sommes le zéro.

C’est quand on ne cherche pas qu’on trouve

Je ne suis pas un robot, pas une intelligence artificielle, c’est vrai.

Sans doute me trompe-je régulièrement, je commets des erreurs, je donne des avis qui sont simplement mes avis, et non la synthèse mathématique des avis qu’un algorithme (système de calcul) aura déterminé que vous voudriez lire.

Si vous lisez ma lettre de temps en temps, il doit vous arriver d’être en désaccord, parfois agacé même.

Mais j’ai envie de dire « Tant mieux ! ».

C’est que vous et moi, nous sommes bien en vie. Pas juste des amas de cellules, mais des êtres complexes faits de corps et d’esprit, dont les décisions ne sont pas toujours rationnelles et fondées sur leur seul intérêt.

L’être humain est approximatif par nature.

Et c’est aussi parce qu’il commet des erreurs qu’il fait parfois des découvertes sensationnelles. Il y a même un mot pour désigner ce phénomène : la « sérendipité » [4], et on peut en résumer le sens ainsi : « c’est quand on ne cherche pas qu’on trouve ».

L’iode, la pénicilline, le téléphone, le velcro, furent découverts par hasard par des gens qui ne les cherchaient pas du tout.

Les robots, eux, ne sont pas approximatifs. Ils sont programmés pour ne pas se tromper, pour aller là où ils doivent aller et ne pas dévier de leur route.

Mieux ils seront programmés, plus ils seront puissants, plus le risque d’erreur sera faible, voire nul.

Et on voit bien là une première question à poser à nos grands gourous de la technologie : à suivre les routes toutes tracées, à ne jamais commettre d’erreur, à côté de combien de découvertes essentielles nos robots vont-ils passer ?

Question personnelle à Monsieur Laurent Alexandre

Les inutiles ont peut-être aussi leurs vertus, après tout…

Et tiens, il suffit d’ailleurs de se pencher au dessus d’une fourmilière pour observer un curieux manège.

Il y a au sein de la colonie de fourmis certaines d’entre elles qui ne font strictement rien. Dans la série « Inutiles », elles sont médailles d’or.

Et c’est même pire : elles nuisent.

Elles se mettent au travers de la route des autres, elles les empêchent de circuler, de travailler, elles ne lèveront jamais la moindre petite patte pour les aider. Inutiles et gênantes…

En observant cela, on imagine que ces fourmis correspondent à peu près à ce que nous appelons chez nous des hommes politiques, et qu’un vent de révolte de type « gilets jaunes » doit régulièrement animer la masse laborieuse de la fourmilière contre ces incapables et ces « profiteuses ».

Pas du tout…La nature est d’un raffinement bien plus subtil.

Ces fourmis qui ne font rien, qui gênent les autres, ne sont pas là par hasard : par leur conduite, elles obligent les « travailleuses » à mieux travailler encore, à imaginer des solutions de contournement lorsqu’elles leur barrent le passage, à avoir des « idées » nouvelles, à créer, à découvrir, à inventer.

Car c’est dans la contrainte que s’exerce véritablement le génie. Les « Inutiles », chez les fourmis, ont leur rôle dans ce jaillissement d’idées.

Tout n’est peut-être pas aussi binaire qu’on voudrait nous le dire…

Maintenant j’aimerais poser une question un peu plus personnelle à Monsieur Laurent Alexandre : êtes-vous  déjà allé à Lourdes ?

Personnellement, j’ai eu la chance d’y défiler avec mon régiment, à l’occasion de mon service militaire.

Dans cette ville incroyable, où tout s’achète et se vend, l’espoir, le miracle, la souffrance, on croise également l’authentique humanité, celle qui intègre aussi les fragiles, les cabossés, les malades, les « bas de plafond », pour composer un tout.

A Lourdes, les éclopés, les souffrants, les diminués, les tous petits, les ratés et les moches sont comme nulle part ailleurs des hommes de plein droit.

Car de la même façon que le jour n’existe que parce qu’il se compare à la nuit, l’utile n’est rien sans l’inutile.

Ce sont les deux versants d’une même pièce, la vie, où il est folie de croire que l’on sera toujours dans le même camp : celui des valides, des forts et des gagnants.

Les « Inutiles » sur lesquels s’apitoient les transhumanistes, je les vois au contraire comme les messagers de l’essentiel, ceux qui rappellent aux autres que nous ne sommes jamais que des passagers sur cette terre, tous frères en humanité.

Des cerveaux plus intelligents : et alors ?

Aujourd’hui notre monde déborde de puissance de calcul. Il y a des tonnes de gens intelligents. Davantage de doctorats, plus de brevets, plus de groupe de réflexion…

Plus de cellules grises que jamais qui s’appliquent à résoudre les défis cruciaux de notre époque.

Et alors ?

Est-ce que nous sommes plus heureux ? Est-ce que le monde est meilleur ? Est-ce qu’il est plus beau ?

Nous allons plus vite, plus loin, plus fort. Bientôt on habitera sur Mars. On pourra prendre un crédit sur 150 ans puisqu’il paraît qu’on en vivra 200.

Fabuleux, « c’est le progrès ! ».

Mais regardez les ravages que cet esprit de performance et de compétition fait tous les jours dans notre société : rien qu’en France, 15 millions de boîtes d’antidépresseurs sont prescrites chaque année [5], près de 4 français sur 10 déclarent avoir déjà fait un « burn-out », etc.

Qui peut sérieusement prétendre que la dépression, le stress, le mal-être, ne découlent pas en grande partie de cette vision strictement utilitaire de la vie que défendent nos chers « transhumanistes », les promoteurs de « l’humain augmenté ».

Le problème, ce n’est pas que nos cerveaux sont trop petits… en fait, avec toute cette puissance de calcul supplémentaire… il se pourrait que nous ayons un trop-plein d’intelligence.

Le problème, c’est que nos coeurs ne peuvent plus suivre

Alors je propose qu’on se détende.

« Que les robots prennent le dessus » si ça leur chante.

Laissons-les conduire des voitures, piloter des avions, laissons passer l’aspirateur, faire le ménage, la cuisine et la vaisselle, et quand ils ne le verront pas venir, bottons-leur le c…d’un bon vieux coup de pied bien tonique !

Santé !

Gabriel Combris

Sources :

[1] https://www.linkedin.com/pulse/culte-de-la-performance-un-risque-sous-estim%C3%A9-husson-traore/?trackingId=7bMroSU4Qu6SWWApOEZ1zQ%3D%3D

[2] Initialement cette opposition entre « Dieux » et « Inutiles » a été théorisée par l’historien Yuval Harari dans son livre « Sapiens : une brève histoire de l’humanité » ;

[3] https://www.youtube.com/watch?time_continue=1683&v=-WRMZaGpCZ4

[4] https://www.scienceshumaines.com/serendipite-mot-de-l-annee_fr_24741.html

[5]http://www.doctissimo.fr/html/psychologie/mag_2003/mag1121/ps_7222_psychotropes_consommation_francais.htm