Chers lecteurs,
Aujourd’hui je voudrais pousser un énorme coup de gueule.
Vous voyez cette voiture ?

C’est celle du directeur de cabinet de la ministre de l’Agriculture.
Ce vendredi 12 décembre, alors que les services vétérinaires du ministère allaient massacrer 208 vaches dans une ferme de l’Ariège, près de Paris, un chauffeur attendait tranquillement monsieur le directeur de Cabinet, sa voiture garée sur une place réservée aux handicapés…
Parce que, que l’on soit à Paris ou aux Bordes-sur-Arize, le vocabulaire des ministères semble toujours le même, c’est celui du mépris.
La veille d’ailleurs, c’était le festival, question mépris.
Toute la journée, nous avons suivi la guerre éclair déclenchée depuis Paris à une fermette perdue dans les collines de l’Ariège. Des heures à assister de loin, impuissants, à un carnage.
La musique est connue : 208 vaches, un cas de dermatose nodulaire contagieuse. Un cas seulement mais caramba ! les technocrates ont la solution : on abat le troupeau entier.
« C’est la meilleure solution, dit le préfet. C’est la seule qui fonctionne ».
Bien sûr !
Ça fonctionne tellement bien que les cas se multiplient depuis qu’on a vu apparaître un premier foyer en Savoie cet été. Là-bas déjà, ils ont tué tout le troupeau. Et crevé le cœur d’un jeune éleveur de 28 ans : « Vous tenez toute la tête des vaches pour les euthanasier alors qu’elles sont saines. Il faut vraiment avoir affaire à des gens complètement déconnectés, complètement hors sol, pour prendre des décisions pareilles ! Et quand vous le vivez, c’est abominable… »
Le 2 décembre, rebelote. On embraye avec 82 laitières tuées dans le Doubs malgré la présence de nombreux agriculteurs venus s’y opposer, pour une seule peut-être malade ! Là aussi, une famille d’éleveurs, les Lhomme, anéantis.
Et maintenant, l’Ariège. 208 vaches à tuer. « Pour préserver le cheptel français » ajoute le préfet qui commence à s’emballer.
Mais on ne pourrait pas envisager une autre solution ? Une issue moins sanglante ?
Tout ça est idiot, tout le monde le sait
C’est ce qu’on fait les agriculteurs de plusieurs syndicats en proposant un protocole expérimental pour éviter l’abattage des animaux.
On tuerait la vache malade, on vaccinerait les autres en les gardant sous cloche, le temps qu’elle ne puissent plus transmettre la maladie. Ça paraît du bon sens ? Tous les syndicats sont d’accord. Eh ben justement, ce sera non ! La ministre maintient sa décision. Il faut tuer, tuer, tuer.
Et là, c’est Full Metal Jacket en Ariège : des Hélicos qui tournent au-dessus de la ferme, des véhicules blindés qui essaient d’y parvenir, on voudrait qu’ils s’embourbent, ces « Centaures » de la gendarmerie. Des pelleteuses pour dégager le terrain, dégommer les voitures qui gênent ou les arbres mis au travers des chemins par les agriculteurs venus essayer d’empêcher le désastre.
Certains essaient d’appeler la ministre, son directeur de cabinet, son sous-directeur, le préfet, le sous-préfet. Mais on rebondit de service en service, de répondeur en répondeur.
On laisse des messages : pourquoi cette solution absurde ? Pourquoi on n’essaie pas de sauver les bêtes ? Personne ne rappelle. On ne discute pas avec ces gens-là.
Sur place, on sent les paysans désespérés. Les journalistes interrogent un géant, Pierre-Guillaume Mercadal, de la Coordination rurale, dépité par l’absurdité et la violence de cet abattage. Et puis à ses côtés, un plus petit, Ananda Guillet, de l’association Kokopelli. Un idéaliste, qui sourit encore un peu, mais le cœur n’y est pas. « Tout ça est « débile », tout le monde le sait ». Et pourtant, lui comme nous, on sait aussi ce qui va arriver.
A un moment pourtant, un tout petit moment, on a quand même le cœur qui se serre, on se dit que tout n’est pas pourri, parce que 7 gendarmes posent leurs armes devant des agriculteurs : ils ont compris que rien de ce qui se passait n’avait de sens.
Mais 300 gendarmes moins 7 gendarmes, ça en laisse 293.
Il y a 293 militaires qui ont décidé qu’ils allaient suivre leurs ordres idiots.
Après, c’est du petit lait.
On rentre dans le tas, on charge. On évacue.
Grenades lacrymogènes, assourdissantes ; Le préfet dira que c’est à cause de « l’ultra-gauche », c’est bizarre parce que d’autres ont vu aussi des catholiques qui chantaient des cantiques et portaient une croix face aux forces de l’ordre. C’est bien la première fois que des groupes pareils ne se mettent pas dessus…Ou c’est vraiment la preuve qu’il y a quelque chose qui cloche dans cette affaire.
Partout, il y a surtout des gens qui pleurent, soit parce qu’ils ont reçu du gaz lacrymogène, soit parce qu’ils sont vraiment désespérés. « La liberté, c’est le pouvoir de dire merde à tout le monde », écrivait Dorgelès dans « Les croix de bois ». Alors merde aux gendarmes, merde au préfet, merde à la ministre, à tous ces gens à légion d’honneur qui sèment mépris et désespoir.
Dans la soirée, Monsieur Rousseau, du plus gros syndicat agricole, qui n’avait jusque-là rien dit du tout, a pris deux minutes de sa vie de businessman, pour dire que c’était « très dur pour les éleveurs en ce moment » mais bon, qu’il fallait quand même tuer les vaches.
Puis il est retourné faire ses comptes, pendant qu’à la ferme des Bordes, certains essayaient de se réchauffer en brûlant de la paille.
Le final n’a pas été long à se révéler : la ferme a été « reprise » par les forces de l’ordre vers 23 heures. Je ne sais pas à quel heure le préfet est allé se coucher, ni s’il a fait de beaux rêves. Ceux qui sont restés à la ferme n’ont pas dormi.
Le 12 au matin, l’abattage du troupeau a commencé vers 8h30. A la même heure, à 800 kilomètres de là, un chauffeur attendait, garé sur une « place handicapé », monsieur le directeur de cabinet de la ministre de l’agriculture pour l’emmener travailler.
L’élégance jusqu’au bout…

Gabriel Combris